
Sur les hauteurs de Mugongo-Manga, à l’ouest du Burundi, sur la colline de Rwibaga un murmure ancien s’éteint peu à peu : celui des arbres qui abritaient sources et oiseaux, racines et secrets.
À leur place, une autre vie s’installe, pressée par la faim et la nécessité : la pomme de terre.
Dans cette commune accrochée aux hauteurs de la province de Bujumbura, à l’Ouest du Burundi, chaque tubercule planté est une promesse de repas pour demain.
Mais chaque sillon creusé dans la terre mord aussi un peu plus dans la forêt, qui recule sans mot dire. Ici, l’arbre cède devant la bêche.
« Si on ne cultive pas, on ne mange pas », souffle Évariste, cultivateur depuis toujours à Mugongo-Manga.
À ses pieds, un pan entier de colline jadis drapé d’eucalyptus n’est plus qu’un damier de parcelles fraîchement retournées.
Pourtant, à quelques kilomètres de là, le pays tout entier se mobilise autour de la grande campagne « Ewe Burundi urambaye », ce vaste projet national censé recoudre les plaies ouvertes par des années de déboisement et restaurer les écosystèmes abîmés.
Ironie du sort : pendant que des milliers de jeunes pousses prennent racine ailleurs, ici, on arrache ce qui reste des forêts pour élargir un champ, tracer une nouvelle butte.
La faute à qui ? À personne en particulier. À tout le monde un peu.
La terre est fertile mais la population grandit vite. Les familles, serrées sur des lopins trop étroits, n’ont d’autre issue que de grignoter la colline.
L’eau se fait rare, la pluie aussi capricieuse que brutale. Et quand elle tombe enfin, elle arrache la terre nue, l’emporte plus bas, vers la vallée, ne laissant que des sillons pierreux.
« Là-bas, avant, on avait une source claire. Maintenant, plus rien », se souvient Alphonsine, habitante de Mukike, le regard tourné vers un ancien lit d’eau asséché.
Les récoltes, elles aussi, souffrent de ces sols épuisés et de ces forêts fantômes qui ne retiennent plus ni humidité ni fertilité.
Ce paradoxe interroge tout un pays : comment demander à des cultivateurs de protéger les arbres quand leur survie immédiate dépend de chaque mètre carré cultivé ?
Comment convaincre sans offrir d’alternatives concrètes ?
L’agroforesterie, la rotation des cultures, la gestion raisonnée des sols… Les solutions existent sur le papier, mais sur ces collines, elles peinent à germer.
« On nous parle de planter avec les arbres, mais personne ne nous montre vraiment comment faire », regrette Jean-Marie, un jeune agriculteur de Rwibaga.
À Kigali Bujumbura, les experts s’accordent pourtant : le Burundi ne peut plus opposer sécurité alimentaire et protection des forêts. L’un ne va plus sans l’autre. La loi existe, les discours aussi. Reste l’essentiel : l’accompagnement, l’encadrement, la volonté de faire respecter les règles, même au sommet des collines où l’État paraît souvent bien lointain.
Ici, à Rwibaga, la pomme de terre a gagné la première manche.
Mais si rien ne change, elle pourrait aussi signer la défaite silencieuse de tout un écosystème.
Et demain, que restera-t-il à cultiver sur une terre devenue poussière ?
Planter, protéger, éduquer : le défi est colossal mais indispensable. Car sur ces flancs de collines, entre racines arrachées et sillons fraîchement tracés, c’est bien plus qu’une récolte qu’on joue.
C’est l’avenir, fragile comme un jeune plant sous la pluie, qu’il faut sauver avant qu’il ne soit trop tard.