Au lever du jour, sur les collines de Nyamurenza, le silence a remplacé les allées et venues des femmes qui, autrefois, traversaient la frontière un panier de fruits sur la tête ainsi que d’autres petites marchandises importantes pour faire vivre leur famille. Jadis, ces chemins de terre battue menaient vers un espoir : quelques pièces gagnées de l’autre côté, au Rwanda, pour nourrir une famille restée au village. Aujourd’hui, ces sentiers sont vides. La frontière est close, et avec elle, c’est tout un quotidien qui s’est éteint.

Dans cette région du Nord du Burundi, on n’entend plus les cris des enfants jouant dans les cours d’école. Beaucoup ont déserté les bancs faute de quoi manger à midi.

À Busoni, une mère serre contre elle son dernier-né, les yeux rougis par la fatigue : « Certains jours, ils ne mangent qu’une fois. On ne sait plus où trouver de quoi vivre. »

Ici, dans les collines de Bugabira ou de Ntega, le commerce informel faisait battre le cœur de l’économie locale. Des hommes et surtout des femmes franchissaient chaque semaine la frontière pour vendre quelques fruits, échanger du maïs ou ramener du sucre, du savon, de l’huile. Ces allers-retours, anodins pour un diplomate à Bujumbura, tenaient pourtant des milliers de vies à flot.

Depuis que Gitega a claqué la porte à Kigali, l’accusant de façon informelle de soutenir la guerre dans l’ombre, les paniers restent posés dans un coin des cases, inutiles. Et le franc burundais, trop léger face au franc rwandais, n’achète plus grand-chose au marché.

Alors, certains ont tenté leur chance malgré tout. Deux hommes de Bugabira ont osé franchir la frontière en avril dernier. Personne ne les a revus. Leurs familles attendent, veillent la nuit, écoutent un bruit, un signe, mais le silence répond toujours.

La peur est devenue compagne du quotidien. Peur de disparaître à son tour. Peur de croiser un regard accusateur quand on ose murmurer qu’on voudrait retraverser.

Ceux qui partaient travailler dans les champs rwandais, gagnant en une journée ce qu’ils mettraient trois jours à récolter ici, sont désormais condamnés à rester, bras croisés devant des terres trop maigres, des maisons trop vides.

Dans ce coin du pays, on ne parle plus de géopolitique, ni de rebellions armées. On parle de repas sautés, de bouches à nourrir, de cahiers vides.

Un père soupire, assis à l’ombre d’un manguier : « Nous, on ne fait pas de politique. On veut juste travailler. »

Mais la frontière reste close, les camions sont à l’arrêt, et les mots des dirigeants résonnent loin, bien trop loin des villages où l’on compte chaque grain de maïs avant de le mettre dans la marmite.

Alors, on attend. Un signe. Un accord. Un dialogue. Une main tendue de part et d’autre des collines. On attend comme on attend la pluie quand la terre craquelle. Et pendant ce temps, au Nord du Burundi, les frontières restent fermées, et avec elles, des vies entières se figent, suspendues à une poignée de mots prononcés ailleurs.

 

Leave a Reply

Your email address will not be published. Required fields are marked *