
Ils sont encore trop rares, ces enfants Batwa qui franchissent les portes d’un internat, un baluchon sur l’épaule et un rêve plus lourd que leurs années. À Gitega, derrière les murs de briques, leurs histoires se ressemblent : un lit, trois repas, mais jamais assez pour oublier la pauvreté restée au village.
L’État a promis des bancs, des repas, une chance. Mais entre la faim, la maladie et les cahiers qui manquent, le chemin vers l’école reste un sentier escarpé.
Dans la cour poussiéreuse du lycée de Buhiga, Fabrice Irishura ajuste son sac sur son épaule. Élève en première année pédagogique, il porte déjà sur ses épaules plus qu’un cartable : les espoirs de toute une communauté.
« Parfois, j’ai envie de tout laisser tomber… Mais si moi j’arrête, qui montrera aux plus jeunes qu’on peut y arriver ? » souffle-t-il, le regard perdu vers les dortoirs aux murs décrépis.
Fabrice est Mutwa. Il fait partie de ces rares enfants de sa communauté à avoir franchi les grilles d’un internat public.
Deux ans plus tôt, le gouvernement avait promis que les lauréats Batwa au concours national seraient accueillis dans ces écoles fermées, nourris et logés.
Une chance inespérée pour certains. Mais sur le terrain, cette chance se heurte à la réalité : la pauvreté n’a pas de barrières, pas même celles d’un internat.
Florence Gatangaza se souvient encore du jour où elle a reçu la nouvelle : « J’étais si fière… Mes parents aussi. »
Première de sa famille à intégrer un internat, elle a cru que tout serait plus simple.
Mais derrière les murs du lycée, la faim, les maladies et le manque de tout l’ont vite rattrapée.
« Quand je tombe malade, qui va payer ? Mes parents n’ont pas de téléphone. Parfois, même mes habits finissent avant la fin du trimestre… » raconte-t-elle, la voix tremblante.
Autour d’elle, d’autres élèves se plaignent du même fardeau. Cahiers manquants. Savons partagés. Pas d’argent de poche pour une consultation médicale. Les associations passent parfois, distribuent des fournitures. Mais c’est souvent trop peu pour tenir toute l’année.
Au lycée Buhiga, le directeur Adolphe Nitegeka garde encore les registres de l’année dernière : quatre élèves Batwa inscrits. Deux ont abandonné. Aucun n’a réussi.
Cette année ? Deux seulement sont encore là. « Et déjà, une élève a quitté l’internat faute de soutien, » soupire-t-il.
Même scénario à Itabu, à Karusi. Trois élèves Batwa, un fragile équilibre menacé par la moindre crise familiale, le moindre cahier manquant.
Pour Audace Bavakure, représentant de l’Uniproba (Unissons-nous pour la promotion des Batwa), ce n’est pas qu’une question de bancs et de dortoirs.
« Certains parents n’y croient plus. Même ceux qui ont étudié reviennent au village sans emploi, ou vont chercher du travail en Tanzanie… Les enfants le voient, et se disent : à quoi bon ? »
Il marque une pause, comme pour peser ses mots.
« Mais si on abandonne cette initiative, on enterre l’espoir pour de bon. Il faut continuer. Que ces enfants voient leurs aînés réussir. C’est comme ça qu’on change une mentalité. »
Dans la cour du lycée, Fabrice regarde l’horizon. Il sait qu’il lui reste encore trois années avant de pouvoir tenter l’université.
Il sait aussi que le chemin sera semé de cahiers manquants, de repas sautés, de frais médicaux impayés.
Mais quand on lui demande pourquoi il reste, il esquisse un sourire.
« Je reste pour qu’un jour, un petit Mutwa puisse dire : Fabrice l’a fait. Moi aussi, je peux. »
Et peut-être qu’alors, la promesse de l’internat cessera d’être un rêve fragile, pour devenir un nouveau départ.