Aux frontières entre le Burundi et le Rwanda, les barrières sont fermée. Des barrières de métal, des ordres venus d’en haut, des contrôles, des routes soudain coupées entre des collines qui, depuis toujours, partagent l’eau, le bétail et les histoires de famille.

Mais là où la route s’arrête, une rivière, elle, ne s’est jamais arrêtée. Et sur cette rivière Akagera, le barrage hydroélectrique de la Chute de Rusumo (Rusumo Falls) fait couler plus qu’un courant de 80 mégawatts : il fait passer la vie, l’espoir et des ponts invisibles entre voisins séparés.

Au Nord-Est du Burundi, Giteranyi ne regarde plus la frontière comme un mur.

Dans cette ancienne commune de la province de Muyinga, quatre écoles fondamentales se dressent aujourd’hui sur des collines jadis oubliées.

À Ngomo, à Kabira, à Kagugo et à Karugunda, les enfants s’assoient sur des bancs neufs, écrivent sur des tables encore luisantes et rangent leurs livres dans des locaux construits en matériaux solides.

À Ngomo, à trente kilomètres du chef-lieu communal, l’école offre neuf classes, un bureau pour les enseignants, des toilettes dignes pour les filles et les garçons — des détails qui changent tout, rapporte le journal Iwacu Burundi.

Le projet LADP, programme connexe au barrage, a donné plus qu’un toit aux écoliers.

À Ruzo, un centre d’enseignement des métiers a ouvert ses portes. À Mugano, un centre de formation pour les jeunes encourage les ambitions entrepreneuriales.

Même la justice a trouvé sa place : un nouveau tribunal de résidence est sorti de terre.

Et pour ancrer l’espoir, un nouveau bureau communal a remplacé l’ancien à Giteranyi.

Plus au nord, à Busoni, non loin du lac Cohoha et de la frontière verrouillée, d’autres salles de classe accueillent les enfants.

À Runyinya, à Buhimba, à Buringa, des écoles ont vu le jour, équipées de pupitres, d’ordinateurs, de cantines, de cuisines, de réfectoires et même de panneaux solaires.

Pour que l’eau suive, deux réseaux d’adduction ont été forés et posés : l’un tire son eau du lac Cohoha pour alimenter jusqu’au poste-frontière de Gasenyi-Nemba, l’autre capte les sources pour remplir un réservoir à Murore.

Ici, l’eau potable s’invite enfin jusque dans les cours d’école.

Autour de ces murs d’école, la vie respire mieux.

À Busoni, deux centres de santé ont ouvert à Gitete et Rurende. À Bishisha, un autre centre a raccourci les distances. Cassilde, une habitante, se souvient encore du temps où il fallait marcher plus de dix kilomètres pour une simple consultation ; aujourd’hui, une heure suffit, même de nuit, pour atteindre un médecin.

Les soins courants, l’accouchement, les vaccins, le dépistage : tout se fait sur place, sans courir à l’hôpital le plus proche.

De l’autre côté de la frontière, en Tanzanie, le district de Ngara regarde Rusumo Falls comme un voisin bienveillant.

Ici aussi, un centre de santé flambant neuf a ouvert ses portes en février 2022. Avec ses 54 lits, sa salle d’accouchement moderne, ses sages-femmes disponibles jour et nuit, il soigne en moyenne plus de mille patients par mois. Les femmes enceintes n’accouchent plus au bord de la route.

Les victimes d’accidents, si fréquents sur cet axe routier surchargé, trouvent un bloc opératoire équipé pour les sauver à temps.

Sur l’ancien terrain d’un camp de réfugiés burundais et rwandais, un lycée a remplacé les tentes.

Le Lycée de Ngara abrite désormais 750 élèves, tous des garçons. Les dortoirs, les réfectoires, le bloc administratif : tout a été pensé pour que les souvenirs de l’exil laissent place à un avenir ouvert.

À Kazaha, à quinze kilomètres de la frontière rwando-tanzanienne, un nouveau marché moderne permet aux grossistes tanzaniens de stocker et exporter leurs marchandises.

Là encore, le barrage a fait pousser des murs, mais pour abriter la vie, pas pour la bloquer.

Et puis il y a le Rwanda.

À Sake, dans le district de Ngoma, un grand bâtiment commercial en étage a remplacé les petites cabanes bricolées. Jean de Dieu Fungaroho se souvient des averses qui noyaient ses marchandises. Aujourd’hui, il vend à l’abri, sans craindre la prochaine pluie.

Un second marché pour le bétail, les denrées, les vêtements a vu le jour. Et au-delà des briques et des étals, la santé et l’eau potable suivent le même courant.

À Kirehe, un nouveau centre de santé à Kigina soulage les mères qui devaient autrefois dépenser leurs maigres économies pour rejoindre Kibungo ou Mahama.

La route Cyagasenyi-Gasarabwayi-Nganda, trente kilomètres de goudron réhabilités, relie à nouveau Kigarama et Musaza.

À Ngoma, le centre de santé de Kazo traite même les maladies non transmissibles.

Un nouveau système d’adduction d’eau alimente Gatonde-Gahima.

Un centre de jeunes équipé d’ordinateurs connectés à internet ouvre aux adolescents une fenêtre sur le monde.

Tout cela n’est qu’un reflet d’une énergie plus vaste.

Car Rusumo Falls, c’est d’abord un barrage.

80 mégawatts pour trois pays : la Tanzanie, le Burundi, le Rwanda.

340 millions de dollars réunis grâce à la Banque mondiale et à la volonté de voir la rivière Akagera produire plus qu’un simple débit : un passage, une lumière, une promesse.

Aux poste-frontières, les barrières restent baissées. Les camions attendent. Les routes se taisent. Mais au fond du lit de la rivière, Rusumo Falls murmure une autre histoire : celle de trois peuples qui, malgré les frontières fermées, trouvent encore à se relier par l’eau, l’électricité et la vie.

Là où la rivière coule, l’espoir franchit toujours la ligne.