Chaque virage, chaque dos-d’âne, chaque moto surchargée est devenu au Burundi le symbole d’un drame silencieux que même les plus hauts responsables de l’État peinent à enrayer. Cette semaine, le ministre de l’Intérieur et de la Sécurité publique, Martin Niteretse, a dressé, jeudi 24 juillet, un constat alarmant : plus de 200 accidents de la route recensés en seulement quatre mois dans les régions du centre.

Il parle d’une « tragédie silencieuse ».

Mais derrière les mots, les faits : que fait réellement le gouvernement pour que ces routes cessent de tuer ?

À grand renfort de discours, le ministre promet plus de contrôles, des véhicules vétustes retirés de la circulation, des conducteurs imprudents sanctionnés.

Une rhétorique bien rodée, mais déjà décrédibilisée sur le terrain. À quoi bon ordonner des contrôles si la police de roulage est rongée par la corruption ? Des pots-de-vin quotidiens de 10 000 francs burundais, rapportent les usagers.

Un système qui nourrit l’impunité plutôt qu’il ne protège la vie.

Pendant ce temps, dans les provinces rurales comme Burambi ou Nyakararo, la réalité est encore plus crue.

Là où aucune route carrossable ne mène, où le carburant est un luxe inaccessible, la moto — souvent surchargée jusqu’à cinq passagers — devient le seul moyen d’exister au-delà du village.

On viole la loi par nécessité, non par défiance. On risque sa vie pour aller vendre des tomates au marché ou emmener un enfant malade à l’hôpital.

 

Il est facile de blâmer le conducteur imprudent, plus commode de dresser des procès-verbaux que de financer l’entretien des routes ou de garantir un transport collectif abordable.

Mais la racine du problème est ailleurs : la pauvreté qui oblige à choisir entre rester cloîtré chez soi ou grimper à cinq sur une moto ; la corruption tolérée qui transforme chaque contrôle routier en opportunité de racket ; l’absence de carburant qui paralyse la moindre alternative.

Depuis des années, experts et citoyens tirent la sonnette d’alarme. Et depuis des années, les réponses sont les mêmes : des campagnes de sensibilisation, quelques contrôles ponctuels, quelques motos saisies.

Jamais de plan global pour réhabiliter les routes rurales, jamais de solution concrète pour garantir un approvisionnement stable en carburant, jamais de véritable offensive contre la corruption endémique des forces de l’ordre.

 

Résultat : la route, censée relier les Burundais, est devenue un champ de mines quotidien.

À Rumonge, à Nyakararo, à Burambi, prendre la route, c’est jouer sa vie à pile ou face.

Ce n’est pas seulement une question de mauvais conducteurs ou de véhicules défectueux, mais d’un système qui abandonne ceux qui n’ont pas les moyens de se payer un taxi en ville ou une voiture en bon état.

 

L’urgence est connue : routes praticables, carburant disponible, transports collectifs dignes de ce nom, et surtout, police exemplaire.

Tout le monde sait ce qu’il faudrait faire. Reste à savoir si le gouvernement aura un jour le courage et la volonté de le faire.

En attendant, chaque accident n’est pas une fatalité, mais le reflet d’un choix politique : celui de ne pas investir où il faudrait, de ne pas sanctionner qui il faudrait, de ne pas écouter ceux qu’il faudrait.

Dans ce Burundi où la vie s’arrête parfois sur une piste boueuse ou sous les roues d’un bus vétuste, la plus grande tragédie est peut-être celle-là : mourir sur la route n’est plus un fait divers, mais une routine.