À Kigali, au petit matin, Elie Hatungimana, pousse sa moto hors de la cour. Il la démarre, mais aucun grondement ne trouble le silence. Sa moto électrique file sans bruit, glissant entre les collines brumeuses de la capitale rwandaise.

Pour Hatungimana, réfugié burundais installé à Kigali, comme pour des milliers de chauffeurs de taxi-motos, l’électrique a transformé bien plus qu’un simple moteur : il dessine un nouvel avenir.

« Je dépense moins, je gagne plus et je respire mieux », sourit ce père de trois enfants, casque vissé sur la tête, prêt à parcourir une centaine de kilomètres sans une goutte d’essence.

Comme lui, plus de 4 000 chauffeurs ont déjà remplacé leur ancienne moto thermique par un modèle électrique silencieux, fourni par des entreprises comme Ampersand ou Spiro, la première société africaine spécialisée dans la mobilité électrique.

 

Un pari national

Derrière ces silencieux bourdonnements se cache une ambition claire : faire du Rwanda un leader africain de la transition verte.

Kigali n’est pas qu’une capitale moderne, c’est un laboratoire vivant où se conjuguent innovation, climat et inclusion.

Le gouvernement rwandais affiche un objectif : neutralité carbone d’ici 2050.

Pour y parvenir, il mise sur la mobilité électrique et multiplie les incitations : exonération de taxes à l’import, droits de douane réduits, terrains offerts pour installer des stations de recharge.

Les acteurs privés répondent présent. Ampersand, déjà soutenu par des investisseurs internationaux, vise 40 000 motos électriques d’ici 2026, en partenariat avec le géant chinois BYD.

Des routes plus propres, des poches plus pleines

Les chauffeurs de taxi-motos — plus de 30 000 rien qu’à Kigali — forment le cœur battant de la mobilité urbaine.

Passer à l’électrique, c’est plus qu’un choix écologique : c’est une question de survie économique.

Là où un plein d’essence engloutissait jusqu’à 60 % de leurs revenus quotidiens, la batterie électrique réduit cette dépense de moitié.

« Je peux échanger ma batterie en deux minutes dans une station », explique Hatungimana.

« Je ne perds pas de temps, je fais plus de courses. »

Les stations d’Ampersand ou de Spiro, un autre acteur du secteur, jalonnent déjà Kigali : plus de 30 points de swap rapide permettent aux conducteurs de rester sur la route.

Une économie verte qui profite à tous

Au-delà des chauffeurs, la vague électrique génère un nouvel écosystème : mécaniciens formés pour réparer des moteurs propres, techniciens de batteries, installateurs de stations solaires.

Le Rwanda a bien compris que la transition énergétique n’est pas qu’un enjeu environnemental : c’est un levier de création d’emplois.

Selon Ampersand, chaque moto électrique en circulation permet d’économiser plus de 1 000 dollars par an en carburant et entretien, redistribués directement dans l’économie locale.

Ces gains profitent aux familles, aux écoles, et encouragent une nouvelle génération d’entrepreneurs à se lancer.

 

Des défis à relever

Tout n’est pas simple pour autant. Le coût initial d’une moto électrique reste deux à trois fois supérieur à celui d’un modèle thermique. Mais les entreprises locales innovent : location-vente, crédits souples, batteries échangeables au lieu d’être achetées.

Le gouvernement, lui, s’emploie à densifier le réseau de recharge pour convaincre même les plus sceptiques.

L’autre défi est culturel : pour beaucoup, la moto à essence est synonyme de puissance et de liberté. Changer cette image prend du temps. Mais à Kigali, l’air plus pur et le silence des rues font peu à peu pencher la balance.

 

Greenland : un projet plus vaste

La révolution électrique ne s’arrête pas aux deux-roues. Le Rwanda l’étend désormais aux bus et aux voitures.

Des entreprises comme BasiGo ont déjà mis en circulation des bus électriques pour assurer le transport en commun dans la capitale. À plus long terme, l’ambition est de verdir l’ensemble de la flotte publique et de développer des « villes vertes » exemplaires.

Récemment, cette initiative s’est intensifiée avec l’introduction d’un nombre important de bus électriques desservant désormais les liaisons entre Kigali et les autres provinces.

Symbole de cette vision : le projet Green City Kigali, un quartier pilote de 600 hectares à Kinyinya, imaginé comme une ville durable. Bâtiments écologiques, énergies renouvelables, gestion intelligente de l’eau, agriculture urbaine : tout est pensé pour limiter l’empreinte carbone et offrir un habitat digne à plus de 30 000 habitants.

Le projet, soutenu par le Green Climate Fund et l’Allemagne, promet de faire de Kigali un modèle africain de développement urbain bas carbone.

Une inspiration pour le continent

De Nairobi à Kampala, les voisins observent attentivement. Les motos électriques rwandaises prouvent qu’une transition verte est possible, même dans des économies encore fragiles.

Elles racontent une autre Afrique : innovante, résiliente, résolument tournée vers demain.

Pour Hatungimana, ce n’est pas qu’une question de politique ou de climat. « C’est simple : ma moto ne fume plus, je gagne mieux ma vie, et mes enfants respirent un air plus propre. Que demander de plus ? »

Au crépuscule, sa moto glisse de nouveau dans les ruelles escarpées. Aucun grondement, juste le bruissement de la ville qui change — une route silencieuse vers un Rwanda plus vert.

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