
Sous le soleil brûlant de l’après-midi à Kiryandongo, en Ouganda, Afag Ali, 17 ans, penche son visage concentré sur un petit jardin de démonstration. Ses mains plongent dans la terre pour y enfoncer des graines de maïs, gestes précis et mesurés.
Mais derrière cette routine se cachent des responsabilités lourdes : la jeune fille a fui le Soudan après que le conflit y a emporté son père, laissant à sa charge sa mère âgée et quatre frères et sœurs.
« Je veux juste pouvoir planter chez nous et gagner un peu d’argent », murmure-t-elle en essuyant la terre de ses paumes.
« Je veux aller vendre au marché, en ville, pour que ma famille puisse manger. »
Son rêve est simple, presque modeste, et pourtant d’une profondeur bouleversante.
Il ne s’agit pas seulement de nourriture, mais de dignité, de sens et de survie.
Sa voix, empreinte d’une maturité que son âge ne laisse pas deviner, raconte une histoire plus vaste : celle d’un pays et d’organisations qui cherchent à transformer la vie des réfugiés grâce à des compétences concrètes permettant l’autonomie.
L’Ouganda est souvent salué dans le monde pour sa politique progressiste envers les réfugiés.
Ici, ils jouissent de liberté de mouvement, du droit au travail et de l’accès aux services de santé et d’éducation, à la différence de nombreux pays qui les isolent.
Mais derrière ces louanges se cache une réalité complexe : en août 2025, le pays accueille 1,9 million de réfugiés et demandeurs d’asile, le chiffre le plus élevé d’Afrique.
Si la majorité vient du Sud-Soudan et de la République démocratique du Congo, la crise soudanaise a encore aggravé la situation, avec plus de 89 000 réfugiés soudanais enregistrés à travers le pays.
« Le système humanitaire est saturé », confie Anne Nyambane, spécialiste de la réponse aux réfugiés et de l’énergie durable à la FAO en Ouganda.
« On ne peut pas se contenter de distribuer de la nourriture. Il faut créer des opportunités pour que les réfugiés puissent se tenir debout par eux-mêmes. »
C’est dans cet esprit que la FAO, en collaboration avec le Bureau du Premier ministre ougandais, a lancé un projet visant à dépasser l’aide humanitaire classique.
L’objectif : offrir aux réfugiés soudanais des compétences leur permettant de devenir économiquement indépendants.
Au cœur de l’initiative, la formation professionnelle axée sur la chaîne de valeur agricole. Une étude rapide commandée par la FAO avait révélé un manque criant de compétences pratiques, essentielles pour participer aux marchés locaux.
L’Office du Premier ministre a rapidement demandé le soutien de l’organisation, et le projet a été intégré au Plan national de développement IV (NDP IV), qui fait de l’agro-industrialisation une priorité nationale.
« Ce projet génère ce que nous appelons un triple dividende : l’autonomie pour les réfugiés, le renforcement des liens avec les communautés hôtes et une croissance économique durable pour l’Ouganda », explique Nyambane.
Les formations sont assurées par l’Innovative Institute of Agriculture, Business and Capacity Building (IABC), un institut local présent à Kigumba et Arua.
Les programmes proposés couvrent la production avicole, l’agro-transformation, la production végétale et la mécanisation agricole, sur trois mois.
Chaque module a été choisi après consultation directe des réfugiés.
« Nous voulions qu’ils se sentent propriétaires de leur apprentissage. Alors nous leur avons demandé : qu’est-ce que vous voulez apprendre pour gagner votre vie ? » raconte Kunihira Evarline, responsable académique à l’IABC.
La barrière linguistique a été rapidement surmontée grâce à la présence simultanée d’un formateur anglophone et d’un interprète arabe dans chaque classe.
Mais la formation ne se limite pas à la technique.
Dans le module d’agro-transformation, par exemple, les étudiants apprennent d’abord à attirer les clients, à gérer les profits et les pertes, et à comprendre les bases de la gestion d’entreprise avant de fabriquer du miel ou du pain.
« Nous voulons qu’ils pensent comme des entrepreneurs. Il ne s’agit pas seulement de nourrir sa famille, mais de créer de la valeur, de vendre sur le marché et de construire un avenir », précise Kunihira.
Pour Ali, cette combinaison de compétences agricoles et commerciales est une véritable révélation.
« Maintenant, je sais comment cultiver et comment vendre. Je veux commencer petit, puis grandir », dit-elle, les yeux brillants d’espoir.
Le projet s’inscrit également dans une logique économique plus large.
L’Ouganda voit son secteur avicole croître rapidement et développe des pôles agro-industriels.
Les réfugiés formés ne sont donc pas uniquement des bénéficiaires ; ils deviennent des acteurs économiques potentiels dans un marché régional évalué à 485 millions de dollars.
Le programme intègre aussi une dimension de genre forte. Les femmes réfugiées, lorsqu’elles sont soutenues, deviennent de plus en plus actives dans l’agro-business.
À l’issue de leur formation, les participants recevront des certificats et éventuellement des diplômes, symboles d’accomplissement mais aussi de perspectives nouvelles.