
Entre volonté politique et enjeux économiques, l’Afrique de l’Est amorce une transformation qui pourrait redéfinir son intégration régionale. Après des années de discussions avortées, de retards budgétaires et de tensions politiques, la construction d’une ligne ferroviaire moderne et d’un vaste oléoduc reliant le Kenya, l’Ouganda, le Rwanda — et jusqu’à la République démocratique du Congo — devrait reprendre au début de l’année 2026.
Cette relance marque un tournant majeur pour un espace économique en quête d’infrastructures fiables et cohérentes.
L’annonce conjointe des présidents kenyan et ougandais, William Ruto et Yoweri Museveni, lors du lancement d’un projet sidérurgique à Tororo en Ouganda, a constitué un signal politique fort.
Les deux dirigeants ont réaffirmé leur volonté d’achever le tronçon manquant du Standard Gauge Railway (SGR), cette voie ferrée à écartement standard censée fluidifier les mouvements de voyageurs et de marchandises depuis le port de Mombasa jusqu’au cœur du continent.
Selon Ruto, l’extension débutera dès janvier, d’abord entre Naivasha et Malaba, puis vers Kampala et, au-delà, vers la RDC en passant par le Rwanda.
L’ambition affichée est claire : réduire drastiquement les coûts logistiques, éternel talon d’Achille du commerce est-africain, et renforcer la compétitivité d’un marché régional encore fragmenté.
Parallèlement, Nairobi et Kampala ont confirmé une avancée notable sur un autre chantier stratégique : la modernisation et l’extension de l’oléoduc Mombasa–Kampala, prolongé vers la frontière rwandaise et congolaise.
Dans un geste politique rare, le Kenya a accepté de céder près de 60 % des parts de son opérateur, la Kenya Pipeline Company, afin de permettre à l’Ouganda, au Rwanda et à des investisseurs privés d’entrer au capital.
« Alors que les gouvernements et les investisseurs régionaux co-investissent dans la Kenya Pipeline Company, j’encourage les citoyens de notre région à participer eux aussi. Des actions seront mises à disposition des entités publiques, mais surtout des citoyens de notre région », a ajouté Ruto.
L’objectif est de transformer ce corridor pétrolier en infrastructure véritablement régionale, autant dans la gestion que dans le financement.
Le président Museveni, lui, s’est attaché à rappeler les enjeux de sécurité et de rationalisation du transport : l’oléoduc pour les produits pétroliers, le rail pour les cargaisons et les passagers.
« Ces routes et ces systèmes de transport sont actuellement inefficaces. Nous devons les rationaliser. Le carburant transitera par le pipeline, tandis que les marchandises et les passagers emprunteront le chemin de fer. Cela nous permettra de co-investir jusqu’à la frontière congolaise et de garantir un transport sécurisé des ressources », a déclaré Museveni.
Une logique de spécialisation des infrastructures que les États de la sous-région appellent de leurs vœux depuis longtemps, sans toujours parvenir à la concrétiser.
Côté rwandais, les travaux préparatoires semblent aboutis.
Kigali a finalisé ses études de faisabilité et se dit prêt à engager la phase de construction dès que les pays voisins auront avancé sur leurs propres tronçons.
« Les études orienteront le processus de construction. À présent, il s’agit d’attendre que les pays voisins entament leurs sections », a déclaré Emmanuel Nuwamanya, directeur par intérim de la politique et de la planification au ministère des Infrastructures, lors d’un forum organisé par la Banque africaine de développement le mercredi 12 novembre 2025.
Une position qui traduit la détermination du Rwanda à s’arrimer au corridor régional, lui qui dépend fortement du port de Mombasa pour ses importations et exportations.
En Ouganda, la dynamique est également enclenchée : l’entreprise turque Yapi Merkezi a démarré les études géotechniques sur les 273 kilomètres séparant Malaba de Kampala, tandis que l’État a quasiment achevé les longues et délicates procédures d’acquisition foncière — un point qui, à lui seul, aura fait dérailler près de vingt ans de projets.
Au-delà des seuls rails et pipelines, ce vaste programme englobe aussi la modernisation du Northern Corridor, l’un des principaux axes terrestres du continent, avec la construction de voies rapides et de routes transfrontalières.
L’effet d’entraînement attendu est considérable : réduction des délais de transport, chute des coûts logistiques, création de milliers d’emplois, dynamisation des échanges inter-étatiques et consolidation de l’intégration économique.
Si le calendrier ambitieux annoncé par les dirigeants doit encore se confronter aux réalités financières et aux aléas politiques, la relance coordonnée de ces projets donne un signal encourageant : l’Afrique de l’Est semble déterminée à se doter des infrastructures nécessaires à son essor.
